Le temps était clair et assis depuis son fauteuil, un verre de scotch à la main, Hadès contemplait le monde depuis sa fenêtre. Qu'il était amusant de voir tout le petit peuple commencer à grouiller de partout, telle une véritable fourmillière. Lui en tout cas y prenait un plaisir tout à fait particulier. Portant le verre à ses lèvres il en bu une gorgée, apre, alors que son esprit vagabondait ailleurs, probablement encore en Enfers. Entièrement vêtu de noir, habillé d'un pull en cachemir qui remontait jusqu'au haut de son cou, d'une veste de la même couleur et d'un pantalon tout aussi noir, il attendait, parfaitement calmement, que ne sonne l'heure. Il devait aujourd'hui assister à un enterrement, comme souvent. Sauf qu'aujourd'hui, s'il avait besoin de boire, c'était pour oublier l'horrible personne qui assistait également à la cérémonie : Dionysos. Ce dieu avait un don incroyable pour l'agacer, à la manière d'un moustique qui vient vous chatouiller l'oreille. En achevant son verre, Hadès siffla pour appeler Cerbère qui était parti se dégourdir les pattes dans le jardin et le chargea de reprendre sa tâche aux portes de l'Enfers. Il se leva ensuite, ferma la porte fenêtre, déposa son verre dans l'évier de la cuisine et, consultant sa montre, il réalisa qu'il était l'heure de partir. Il se hâta donc de se mettre en route en se promettant mentalement de dépecer Dionysos pour de bon cette fois-ci, s'il venait le trouver pour des raisons autre que l'enterrement.

Il arrive pile à l'heure comme toujours et prends soin de présenter ses condoléances à la famille dans la plus grande des politesses. Puis, comme à son habitude, il se met un peu en retrait et se contente d'observer la suite des événements, simple spectateur de la veillée funèbre d'un mort qui avait déjà rejoins le royaume des morts quelques jours plus tôt.

Alors que le frère du défunt prenait la parole, Hadès qui se tenait debout dans un coin, un peu à l'écart depuis le début de la cérémonie, senti l'autre glisser vers lui à la manière d'un serpent tentateur. "Tu sais, dans deux semaines j'organise aussi une soirée. Elle sera fun cette fois, du moins plus que d'habitude. Tu devrais montrer ta tronche, ça fera plaisir aux gens." Hadès roula des yeux devant untel manque de respect mais resta parfaitement immobile et ne chercha pas à lui répondre. Même si la stratégie du "je l'ignore et il va me laisser tranquille" n'avait jamais fait ses preuves avec le dieu de la vinasse bon marché, le roi des Enfers gardait l'espoir subtil et à peine prononcé qu'un jour, par un miracle totalement hasardeux, l'autre finirait par la boucler une bonne fois pour toute. Malheureusement, il lui sembla bien vite que c'était peine perdue. "Y'aura de vraies licornes en plus, rien que pour toi chéri." En fermant des yeux, Hadès inspira profondement -bien qu'il n'en ait pas réellement le besoin- pour garder son calme. Lorsqu'il rouvrit ses paupières, il tourna la tête vers l'intéressé et chuchota : "Pourrais-tu ne serait-ce qu'une seule fois arrêter de faire ça ?"

"Arrêter quoi ? D'être sympathique ? Navré d'être le seul à trouver du bon en toi." Aie. Hadès resta de marbre mais il n’en pensa pas moins. Même si l’influence des autres et la façon dont ils le percevaient lui importait peu, les propos de Dionysos étaient loin d’être des plus agréables. On ne lui avait jamais dit qu’il manquait affreusement de tact ? " Tu sais, ça ne va pas te tuer, vraiment. Jamais tu n'es venu, vraiment ! Ça me fait du mal." Le dieu ne put se retenir plus longtemps et roula des yeux, agacé. Voilà que maintenant, l’autre lui sortait l’excuse de la fragilité. Comme s’il était réellement blessé que lui, Hadès, très certainement le plus grand plombeur d’ambiance de tous les temps -et il s’accommodait parfaitement de ce titre à vrai dire- ne vienne pas à ces petites soirées. Il avait beau essayé de toutes ses forces, il ne parvenait pas à accorder le moindre crédit aux propos du dieu. " J'comprends pas comment tu peux aimer autant la solitude. Les humains sur ton cas au moins ils ne se sont pas trompés. Rabat-joie va! " Hadès, qui tentait de garder tout son sérieux et son professionnalisme par respect pour le défunt et toute sa famille lança un regard noir à son acolyte, se retenant de mettre ses mains autour de son petit cou pour le secouer de toutes ses forces. Non mais franchement, en plus de manquer de tact, maintenant il était à la limite de l’insulter ! Hadès n’avait rien d’un rabat-joie, il était simplement Hadès. Et en s’épargnant les discours à deux balles sur la souffrance de l’enfance ou d’autres stupidités du genre, il avait toujours été très solitaire et le vivait assez bien. Et puis bon, ce n’était pas comme s’il avait le choix. "Tu ne peux pas dire que tu n'aimes pas sans jamais avoir essayé. Mes soirées ont changé, elles ne sont plus ce qu'elles étaient avant. J'me suis mis à la page, y'a plus de sacrifice." De nouveau Hadès roula des yeux, s’empêchant de lui répondre cyniquement que c’était là tout le problème. Au lieu de ça, il se contenta de détourner le regard pour se concentrer sur l’enterrement. C’était une des ses fonctions après tout et si Dionysos s’amusait en toutes circonstances -d’autant plus lorsqu’elles étaient tragiques comme aujourd’hui- ce n’était, pour sa part, absolument pas son cas. "J'crois que t'as besoin qu'on te trouve une gonzesse en fait." Hadès toussa discrètement pour cacher sa gène et fusilla le dieu du regard. Il n’aimait pas franchement la façon qu’il avait de s’exprimer sur le sujet. « Traite les femmes avec un peu plus de respect en ma présence, ce ne sont pas des jouets. » Son ton était sec et sans appel, il était très peu tolérant avec des écarts de conduite à ce sujet. Puis, d’une voix plus calme, il ajouta : « Quand je te demandais d’arrêter, c’était de parler. Ce n’est ni le lieu ni le moment pour discuter de ça. Un enterrement est solennel, ce n’est pas une cours de récréation ou tu invites tes camarades à ta boum. » Mais il savait déjà que l’autre ne l’écouterait pas. Les dieux de l’Olympe étaient bien trop bornés pour ça.